Don Quichotte, lutte anti-terrorisme et chiffrement

Un article de Nextinpact intitulé La France veut lancer une initiative internationale contre le chiffrement m’a donné du grain à moudre pour m’exprimer sur la politique actuelle de lutte anti-terroriste du gouvernement français.

En effet, alors que les moyens et techniques déployés jusqu’à maintenant ont été manifestement incapables d’arrêter les attentats terroristes en France (toutes mes pensées aux familles des victimes de l’effroyable attentat de Nice), le gouvernement remet encore une fois sur la table la « question » du chiffrement, en comptant sur le manque de mémoire et/ou l’abrutissement qu’il espère de sa population, c’est-à-dire nous.

Don Quichotte

Interdire le chiffrement va-t-il empêcher les terroristes de l’utiliser ? Non, la technologie existe. Interdire la population d’utiliser un fusil d’assaut n’a pas empêché les terroristes de s’en servir. C’est tellement idiot comme raisonnement qu’on en viendrait à se demander ce que cela cache si le phénomène ne s’était pas déjà produit plusieurs fois. En effet la lutte contre le chiffrement est le marronnier de la lutte anti-terroriste, tous les Libristes le savent bien.

Depuis des années, alors que le chiffrement est extrêmement peu utilisé dans les faits, on nous bassine régulièrement avec des articles critiques sur cette technologie, la mettant régulièrement au centre de l’action terroriste.

Cela évite de s’interroger sur le fait que les terroristes ont utilisé des armes de guerre à Paris ou que le chauffeur de Nice a réussi à pénétrer une zone « surveillée » à Nice le 14 juillet. Des interrogations beaucoup plus légitimes – qui remettent en question l’action des politiques et forces anti-terroristes – que de savoir s’ils utilisent ou non le chiffrement pour communiquer.

Surtout quand on sait que la plupart des acteurs du terrorisme sont censés être identifiés bien en amont, d’après les déclarations quasi-systématique de la Police et des services de renseignement qui , sans aucun doute et d’après les mêmes déclarations, font bien leur travail… ou pas. Mais toutes les mesures jusqu’ici n’empêchent pas les attentats.

Brasser du vent, gâcher les moyens et les efforts

La nouvelle lutte anti-chiffrement entraînerait rien de moins qu’une collaboration Franco-Allemande, parce qu’on est jamais assez quand il s’agit de brasser du vent.

Et médiatiquement, plus c’est gros, plus ça passe. Alors qu’une publication du Ministère de l’Intérieur rappelle dans l’article de NextInpact qu’il existe un lien permanent entre le ministère de l’Intérieur et Facebook, Apple, Microsoft, Facebook et Twitter pour une plus grande « réactivité opérationnelle », soit une couverture quasi-globale de l’internet grand public, on se demande bien qui est visé par ces mesures sinon des personnes n’ayant aucun lien avec le terrorisme mais utilisant le chiffrement au nom de la défense des libertés individuelles.

Là où la coupe est pleine, c’est quand on constate le gâchis de moyens et d’effort pour créer ce battage médiatique, la mobilisation de personnes et d’actions destinée vraisemblablement à … rien, sinon la vague interdiction d’utilisation du chiffrement, ce qui changerait si peu à la lutte anti-terroriste.

Un gâchis énorme, coupable de détourner les moyens et efforts de l’anti-terrorisme dont les preuves des actions concrètes et efficaces se font attendre, où la population en France est la première touchée, ce qui semble très peu émouvoir nos dirigeants qui se déplacent en voiture avec chauffeur et au minimum deux motos pour leur ouvrir la voie sur le périphérique aux heures de pointe, une constatation habituelle pour n’importe quel Parisien.

C’est sûr que ça n’est sûrement pas nos dirigeants qui vont sauter à cause d’une bombe dans le métro… vu qu’ils n’y sont jamais.

L’effroyable impudeur

Rappelons-le, la France est en guerre, officiellement contre l’état islamiste, depuis septembre 2014. Alors que des moyens opérationnels importants ont été déployés hors de nos frontières, nous sommes aujourd’hui touchés de multiples fois sur notre sol. L’arrêt de ces attentats constituerait le succès de la politique de la lutte anti-terroriste. Or devant l’échec flagrant des politiques actuelles, on nous parle aujourd’hui de l’enjeu majeur du chiffrement dans la lutte anti-terroriste ?

N’y a-t-il pas une effroyable impudeur de nos dirigeants à déporter ainsi un problème politique global et un enjeu majeur de société sur un point technique mineur, le chiffrement ?

Est-ce que nos dirigeants sont tellement largués qu’ils agitent n’importe quel épouvantail pour détourner l’attention de leur inefficacité à gérer un problème lié avant tout à un problème de politique extérieure ? Benjamin Bayart dans son article consacré au même sujet explique la peur de nos dirigeants face au ressenti de la population vis-à-vis de leur inaction de fait. Mais aujourd’hui, le mépris de nos dirigeants vis-à-vis du citoyen est tellement criant et impudique qu’il faut s’interroger sur nous et nos attentes vis-à-vis d’eux plutôt que l’inverse.

Car nous n’avons vraisemblablement désormais que très, très peu à attendre d’eux.

Vus : 739
Publié par Carl Chenet : 277