Hadopi, PPPLAI de la création…

Avant-hier, en fin d’après-midi, les députés ont achevé l’examen des articles du projet de loi « Protection Pénale de la Propriété Littéraire et Artistique sur Internet », mieux connu sous l’appellation « Hadopi 2 », puisqu’il s’agit du patch à la loi « Création et Internet », dite « Hadopi », largement censurée par la décision 2009-580 DC rendue le 10 juin 2009 par le Conseil Constitutionnel. Le vote solennel sur l’ensemble du texte interviendra en septembre prochain. Les débats ont occupé les parlementaires durant quatre jours étant donné que les députés de gauche avaient déposé près de 900 amendements. Reprenant Bismarck, le député socialiste Didier Mathus a déclaré jeudi matin dans l’hémicycle : « Nous avons le choix entre une fin désastreuse et un désastre sans fin. » J’aimerais développer un peu cette idée ; les députés sont en effet confrontés à un dilemme terrifiant.

Il convient tout d’abord de souligner qu’à l’heure actuelle, l’industrie du disque périclite. Cette industrie meurt à petit feu pour la simple et bonne raison qu’elle se refuse à évoluer. Les majors se complaisent en effet dans un modèle économique déclinant, basé sur une vision archaïque de la propriété intellectuelle largement remise en cause par les nouvelles technologies et Internet. Auparavant, le CD contenait l’œuvre, le CD était l’œuvre. Imaginons que traîna sur votre bureau un CD audio. Si quelqu’un vous le prenait, vous ne l’aviez plus. Désormais, à l’ère du numérique, l’œuvre peut être copiée et partagée, à l’infini. Alors qu’avant on pouvait attacher l’œuvre à un objet, et donc vendre, non l’œuvre, mais l’objet, il est désormais impossible de restreindre la diffusion à une prison matérielle telle qu’un CD. Face à cette évolution, qui s’est rapidement ancrée dans les mœurs, il convient de réfléchir à l’évolution de la propriété intellectuelle et à de nouveaux moyens de rémunérer les créateurs, plutôt que de tenter de revenir en arrière pour conserver les anciens modèles. Sans évolution, les majors sont clairement condamnées, à plus ou moins long terme. Ces industries sont cependant le support de la création, et à travers elles, c’est la création qui pâtit. Si rien n’est fait, on assistera donc à la « fin désastreuse » de la création, les majors l’entraînant dans leur chute, à moins bien sûr que les artistes ne s’en désolidarisent à temps. Le problème est là, mais la solution que tente d’y apporter le gouvernement est manifestement mauvaise.
En effet, au lieu de faire preuve de courage politique et d’innovation en cherchant à faire évoluer la propriété intellectuelle à l’aune du XXIème siècle pour l’adapter à l’ère numérique, il s’entête à conserver, défendre et protéger des modèles d’un autre temps par une répression de masse, à contre-courant de l’évolution technologique. Vous me ferez remarquer, c’est peut-être pour cette raison qu’on les dit « conservateurs »… Eh bien qu’il me soit permis de rêver d’un Parlement Weight Watcher, c’est-à-dire sans conservateurs ! Toujours est-il que les lois Hadopi 1, puis 2 (et rien n’indique que c’est terminé) sont clairement conservatrices. Que font-elles ? Ces lois mettent en place une milice privée (la Hadopi), chargée de traquer les internautes partageurs qu’on se plaît à nommer pirate.
Mais que sont les pirates ? Le jeune qui télécharge, derrière son écran, les musiques que ses copains écoutent parce qu’il n’a pas les moyens de se les payer, parce qu’il ne peut pas se rendre aux magasins pour les acheter, ou que sais-je, mérite-t-il le même qualificatif que ces loups de mer somaliens qui pillent et tuent ? En employant le terme « pirate », le gouvernement stigmatise déjà de manière sémantique les internautes que je qualifierai, pour ma part, de partageurs. C’est moins épique, ça sonne moins bien, désolé, mais c’est plus juste.
Les lois Hadopi mettent donc en place une milice privée qui traquera les internautes, et les fera condamner, en masse, en ayant pour cela recours à l’ordonnance pénale et au juge unique. « Juge unique, juge inique. » Le but est clair, il s’agit de contourner la Justice. Et la sanction, elle aussi, est scandaleuse. Il s’agit de couper la connexion internet du partageur, comme on couperait la tête de l’assassin si Badinter n’était pas là. On annihilerait donc, parce qu’il a partagé, la liberté d’expression de l’internaute, l’une des plus fondamentales pour que se maintienne la Démocratie, simplement parce qu’on a trouvé son adresse IP (dont on connait la fiabilité…) Voilà ce que dit la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui a valeur constitutionnelle, dans son article 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. »
Cette loi votée, on entre donc bien en plein dans la seconde option qui s’offre au législateur, le « désastre sans fin ».
Cependant, ce désastre sans fin à la frontière de l’autoritarisme risque fort bien de n’être que fantasme. En effet, il y a encore quelques principes de base dans notre pays, il y a encore la Constitution de De Gaulle, et si l’on en croit l’éminent professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau (son nom lumineux est tout trouvé !), le texte d’Hadopi 2 est hautement inconstitutionnel. C’est une première barrière, qui risque d’être dur pour les ministres de la Culture et de la Justice. De plus, il faut raison garder : ce texte sera, même s’il n’est pas censuré, inapplicable. En effet, il est déjà en partie dépassé, puisque le streaming est actuellement en train de supplanter le P2P pour ce qui est de l’écoute ; que l’IP ne saurait être une preuve (n’en déplaise à la 3ème chambre du TGI de Paris) ; et qu’il existe, comme le soulignait France 2 dans son 20H mardi soir, de très nombreux moyens de contourner la loi. Ce désastre sans fin ne passera peut-être pas le Conseil Constitutionnel, et sera de toute façon déjà dépassé et inapplicable. Heureusement, dans un certains sens. Cette loi ne servira en tout cas pas la création, et ne la sauvera pas, puisqu’avec ou sans elle, elle connaîtra quand même sa fin désastreuse. Monsieur Mathus se trompait donc un peu : quoiqu’il arrive, la « fin désastreuse » se produira. La seule chose que peuvent faire les députés, en réalité, c’est éviter le « désastre sans fin » en s’opposant à Hadopi 2. D’ailleurs, la citation de Mathus était erronée, car Bismarck avait en fait déclaré : « Une fin désastreuse vaut mieux qu’un désastre sans fin. » C’est dire…
Il y avait pourtant une troisième issue, qui ne stigmatisait pas les internautes partageurs, et qui sauvait la culture. Une troisième issue qui cherchait à s’adapter, une issue progressiste défendue, justement, par les socialistes, au travers de leurs amendements 540 à 548 : la contribution créative. Cette solution, tentative d’application de ce que prône Philippe Aigrain dans son livre Internet et Création, est l’issue salvatrice que le conservatisme du Palais-Bourbon a balayé d’un revers de manche. Elle est logique, elle est intelligente et elle est simple : « cette contribution automatique versée par les internautes, leur donnera en contrepartie des droits : celui d’échanger librement les œuvres couvertes par cette nouvelle rémunération forfaitaire et cela uniquement dans un but non lucratif. » (je cite l’exposé sommaire des amendements socialistes) L’idée est d’instaurer une faible taxe et de libéraliser (c’est là que le mot libéraliser prend toute la noblesse de son sens) les échanges de fichiers sur internet. Cette taxe rémunérerait d’une part les ayant-droits et pourrait aussi, par exemple, participer au financement de la création. Mais voilà, cette idée est novatrice et progressiste, et fait donc peur aux bancs de droite et aux majors. Voilà pourquoi on n’en a pas voulu.
Vendredi 24 juillet 2009, les députés ont achevé l’examen d’une loi inutile. Vendredi 24 juillet 2009, les députés ont préféré le passé à l’avenir. Vendredi 24 juillet 2009, les députés ont enterré la création.
Que soit écrit en lettres d’or sur le fronton du palais Bourbon, au-dessus d’Athéna et de Sully : « Ci-gît la Création. »

(On m’excusera le jeu de mot foireux du titre, mais trouver un titre original, des fois, c’est dur…)

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Publié par Nicoz : 28